Dario Franceschini, le nouveau ministre italien de la culture, vient enfin d’obtenir l’interdiction aux grands bateaux de croisières d’entrer dans le centre historique de Venise, décision qui prendra effet le 1er août 2021.
Ainsi donc, il ne sera plus possible à ces villes flottantes de polluer à outrance et de violer l’intimité des habitants de Venise en dépassant parfois du double de hauteur les petits immeubles traditionnels de la Cité des Doges.
La mesure concerne les paquebots de plus de 180 mètres de long et de plus de 35 mètres de haut au-dessus de la ligne de flottaison, pour préserver son centre historique. Une grande victoire pour le ministre de la culture, mais aussi un sujet qui remet à l’ordre du jour les effets négatifs des grands bateaux de croisière dans le monde.
Parcours d’une catastrophe écologique: Il est bon de souligner que, hormis l’engorgement de la place Saint-Marc et la pollution démesurée que génèrent ces bateaux, y compris quand ils sont à l’arrêt, la lagune vénitienne est une zone très riche sur le plan de la biodiversité, renfermant un écosystème complexe : milieu marin, près de la mer, milieu constitué d’eau douce, près de l’embouchure des fleuves et milieu intermédiaire d’eau plus ou moins saumâtre, d’où une flore et une faune spécifiques remarquables. Le développement économique a creusé des chenaux de grande profondeur (jusqu’à 15m) à l’intérieur de la lagune, afin de permettre aux bateaux de forts tonnages de remonter depuis la mer jusqu’au port maritime de Venise. Ces “autoroutes” marines, et notamment lors des fortes marées, ont profondément déséquilibré l’écosystème fragile, provoquant des inondations de plus en plus fréquentes. Ce phénomène est connu sous le nom de « l’acqua alta ». Les mosaïques qui décorent le sol de la place Saint-Marc sont en grave danger de détérioration par ces inondations.
Parcours du combattant : En 2015, d’importantes manifestations de rue témoignaient du ras-le-bol des Vénitiens quant à l’intrusion de ces bateaux au cœur de leur ville et le phénomène d’envahissement de « touristes d’un jour » qui n’apportaient même pas de rentrées pécuniaires pour les commerces locaux hormis les magasins de souvenirs, même pas les restaurants. Des pétitions avaient été déposées, mais le lobby des croisiéristes avait eu le dernier mot. En janvier 2019, c’est une taxe qui avait été imposée aux croisiéristes, laquelle, dans son principe, avait été bien accueillie par les Vénitiens, mais, semblerait-il, n’avait pas eu beaucoup d’effet. Cette récente décision va maintenant plus loin.
Venise, bien, mais les autres ? Si les habitants de Venise sont arrivés à leurs fins avec l’appui de l’UNESCO, le problème n’est pas pour autant résolu, les bateaux de moindres tonnages étant encore tolérés. Avouez qu’un bateau de 34 mètres de haut, c’est déjà considérable. Et puis, Venise n’est pas, et de loin, le seul port à souffrir du problème des villes flottantes, surtout en matière de pollution. Cette prise de position gouvernementale italienne pour le port de Venise pourrait peut-être servir de levier à bien d’autres escales qui subissent le même sort en Méditerranée comme ailleurs dans le monde. Une enquête de la chaîne britannique Channel 4, pour laquelle des capteurs mesurant la qualité de l’air avaient été installés sur l’Oceana, un bateau de la compagnie P&O Cruises, avait conclu que ce navire émettait autant de particules très fines que 1 million de voitures. À Dubrovnik, ce sont, certains jours, 7 bateaux de croisière qui accostent ou mouillent au large en même temps. Telles sont à peu près les mêmes constatations dans les ports de La Valette, de Katakolon, de Mykonos, de Santorin, de Toulon, de Marseille, de Monaco, de Barcelone, de Bodrum, de Kusadasi, et de bien d’autres encore qui souffrent de la destruction de leurs écosystèmes et de leur invasion par des hordes de visiteurs éphémères. Souhaitons que l’embargo de Venise fasse l’effet d’une prise de conscience et d’une jurisprudence, ne serait-ce qu’au niveau européen.
Gérard Blanc