Rien ne l’arrête, son imagination débordante et sans limite dérange. Emprisonné et envoyé au Goulag, interdit de production, le réalisateur de génie Sergueï Paradjanov réussira à poursuivre la réalisation d’œuvres jusqu’à la fin de ses jours. A Erevan, dans la capitale arménienne, un musée lui est dédié.
Né le 9 janvier 1924 à Tbilissi en Géorgie de parents arméniens. Sergueï Paradjanov suit, en 1945, une école de cinéma à Moscou, étudie la musique avant de devenir assistant directeur dans les studios Dovzhenko à Kiev en Ukraine en 1952.
Mais le style très personnel et innovant du réalisateur dérange la perception soviétique du monde. En 1968, sa pièce maîtresse « Sayat Nova », dans lequel il dépeint le pays de ses origines, l’Arménie, est censurée par les autorités russes. Une version édulcorée sous le nom « La couleur de la grenade » paraîtra quelques années plus tard.
Le réalisateur dérange
Sa célébrité internationale naissante notamment après le film « Les chevaux de feu », ses refus des injonctions de « se mettre aux normes » quant à son style de vie original ont pour conséquences que les autorités ukrainiennes donnent l’ordre de saisir et détruire ses films. S’ensuit dès 1973 une période d’emprisonnement de 4 ans. Le prétexte : sous la pression physique de l’autorité russe, un de ses amis prétend faussement que le réalisateur russe était homosexuel.
Malgré le soutien d’artistes de renom, il n’est libéré qu’en 1977. Bien que fortement éprouvé durant ces quatre années, il n’aura de cesse de créer, même en prison. Il relève : « je n’étais pas autorisé à faire des films et j’ai commencé à faire des collages. Le collage, c’est un film en résumé ». En plus de ses collages en trois dimensions, il s’adonne également à la peinture, à la création de costumes, à l’écriture de scénarios. Rien ne l’arrête. Tout est prétexte à révéler ce qu’il ressent sous la forme que son imaginaire décide. Souvent, le fruit la grenade, symbole de vie en Arménie, est présente dans ses œuvres associé à une évocation de la privation de liberté. Il devient mondialement connu.
Seconde arrestation
En 1983, il est à nouveau arrêté à Tbilissi, en Géorgie, sous prétexte de corruption cette fois-ci. Envoyé au goulag, il y reste durant huit mois dans des conditions de détention et de travail forcé difficiles. Durant cette période sa santé se dégrade fortement. Malgré cela, n’ayant ni papier, ni crayon, l’artiste façonne avec ses ongles l’aluminium qui couvrait les bouteilles de lait et les nommera « Thalers » du nom des anciennes pièces de monnaie européenne. Des copies en argent et en or sont aujourd’hui distribuées comme prix au Festival International du Film à Erevan « Golden Apricot », récompensant le meilleur film ainsi que le meilleur film documentaire.
Depuis, même si le système soviétique se détend un peu, il n’est toujours pas le bienvenu en Russie et a besoin de l’aide d’amis acteurs bien introduits pour que ses films puissent être présentés au public. 15 ans après « Sayat Nova », Serguei Paradjanov réalise « La légende de la forteresse de Souram », film contesté par le pouvoir, mais plébiscité par le public en URSS.
Un dernier film « Achtik Kerib », ou le conte d’un poète amoureux, minutieusement préparé, tourné avec des moyens plus que réduits, en plan fixe et truffés d’effets spéciaux laisse au spectateur l’espace nécessaire pour imaginer ce que vivent les personnages. « Pour moi, le cinéma est un grand muet » confie-t-il. « Moins il y a de mots, plus il y d’esthétique ». De ce film, le réalisateur dira : « J’aime beaucoup ce film. Chaque artiste doit savoir quand il va mourir et j’aimerais mourir après ce film parce que j’en suis fier. »
Ses films ont obtenu divers prix internationaux : Festival du film Mar del Plata, Argentine; Le Festival International du film d’Istanbul, Turquie; Nika Award, Russie; Festival international du film de Rotterdam, Pays-Bas; Festival international du film de Catalogne, Espagne; Festival du film international de São Paulo, Brésil et beaucoup d’autres nominations.
Pour se situer, l’homme aimait à répéter : « Chacun sait que j’ai trois mères patries. Je suis né en Géorgie, ai travaillé en Ukraine et je vais mourir en Arménie ». Sergueï Paradjanov décède en 1990 d’un cancer des poumons en laissant inachevé son dernier essai « Confession ». Quelques mois auparavant, il avait exposé au Centre Georges Pompidou, à Paris. Il sera enterré au Panthéon Komitas situé au centre d’Erevan.
Un musée unique au monde
Le musée de Sergueï Paradjanov, unique au monde, regorge d’un millier d’œuvres de l’artiste. Il a été fondé en 1988 du vivant du réalisateur qui était censé y habiter, mais n’a été inauguré qu’en 1991, soit une année après son décès. Entrer dans cet espace, c’est comme plonger dans un autre univers où collages en 3D, dessins, assemblages, sculptures, poupées, films ou encore peintures tourbillonnent autours du visiteur. Deux salles commémoratives sont aussi consacrées à découvrir ses objets personnels, meubles et autres, transportés de Tbilissi à Erevan. Aujourd’hui, le musée est classé monument du patrimoine culturel d’Arménie. C’est l’un des plus visités à Erevan.
Le musée est ouvert 365 jours par année / Adresse : Dzoragiugh Ethnographic Center, Blds 15&16 Erevan / Site Internet http://parajanovmuseum.am/en/ Contact : parajanovmuseum@gmail.com
Bonus photographique :
Texte et photos Marguerite Martinoli (sauf mention contraire)