Ererouk

Ruines de la basilique d’Ererouk, aux confins nord-ouest de l’Arménie

Mais à qui et à quoi pouvait bien servir cette immense basilique perdue loin de tout et de tous ? Le seul village proche, Anipemza, compte à peine 520 âmes ! A croire qu’un ouragan nucléaire se serait abattu sur la région, détruisant tout sur son passage en ne laissant – miracle – que cette invraisemblable ruine aux allures de décor antique.

Façade ouest de la basilique d’Ererouk

Sans doute bâtie au VIe siècle, la basilique n’est répertoriée dans aucun document de l’époque. Elle comportait trois nefs et reste aujourd’hui encore l’une des plus grandes églises chrétiennes d’Arménie. Mais alors quoi ?

Les ruines d’Ani vues depuis la frontière arménienne. (Archives)

Alors, il faut regarder en contrebas, à l’ouest. La rivière Akhourian déroule lacets et méandres au beau milieu d’une large plaine fertile. L’Akhourian fut longtemps un lien, un lieu de passage, entre la basilique d’Ererouk et l’antique ville d’Ani, plus de 100.000 habitants à l’époque, dont on distingue encore vaguement, à quelques kilomètres au-delà de la rivière, les ruines éparpillées.

La rivière Akourian à proximité d’Ani. (Archives)

Lovée entre Turquie et Arménie, l’Akourian constitue aujourd’hui une frontière infranchissable. Du côté turc, de la ville de Kars naguère florissante et aujourd’hui reléguée aux confins de l’Histoire, ne gagne pas Ani qui veut. Les contrôles militaires sont innombrables et pointilleux. Les rares touristes occidentaux, venus ici via Istanbul ou Ankara, risquent bien de rester sur leur faim.

Les habitants de Kars avaient, eux, une longue pratique de leurs voisins arméniens. Au point qu’en 2006 débuta, à la demande du maire et avec le soutien financier de la population, la construction du Monument à l’Humanité, œuvre du sculpteur turc Mehmet Askoy dont la main de pierre, ouverte vers le ciel, est censée réconcilier et réunir deux êtres que l’Histoire a séparés et qui n’en peuvent mais. En visite à Kars en janvier 2011, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, engageait la nouvelle municipalité à le détruire et à le « remplacer par un beau parc. »

Sur une colline surplombant la ville turque de Kars, le Monument à l’Humanité du sculpteur Mehmet Askoy. Construit en 2006, promis à la destruction en 2011… (Archives)

Solitaire, perchée sur sa montagne ce cailloux et de ruines éparses, la basilique d’Ererouk observe le monde avec fatalisme. Comme elle, il finira blessé, abandonné, détruit. Jadis église de vie, Ererouk sera un jour le mausolée d’une mort annoncée.

Témoignage du passé ou vision d’avenir ?

Alex Décotte, juin 2019

  • Sauf mention contraire, les photos sont de l’auteur