L’avenir de l’hôtellerie de luxe suisse passe par des concepts inédits et l’ouverture à une clientèle moins traditionnelle. Innovations surprenantes, recherche de nouvelles clientèles, capacité à faire d’Internet un allié, l’hôtellerie de luxe doit aussi se réinventer pour continuer de séduire. L’exemple du Grand Hôtel du Lac à Vevey (50 chambres), estampillé Relais & Châteaux.
Son jeune directeur Luc Califano (38 ans), par ailleurs membre du comité de la Société des hôteliers Montreux Vevey Riviera (SHMV), une entité de l’Association romande des hôteliers (ARS), évoque sa stratégie anti-crise et la saison estivale.
Première question, qui s’impose presque, comment votre établissement traverse-t-il la crise du franc fort?
Il a eu un effet négativement fulgurant sur la clientèle en provenance de la zone euro, qui a chuté. Dans le même temps, les Suisses se sont davantage déplacés dans la zone euro, car leur pouvoir d’achat s’en est trouvé renforcé. Nous avons donc été doublement pénalisés.
Quelle a été votre réaction?
Prendre le taureau par les cornes au printemps 2015 et innover. La saison estivale a ainsi été placée sous le signe de la «dolce vita», symbole de l’italianité. C’est-à-dire qu’une série d’événements, d’animations et de prestations culinaires dans des décors en relation avec cette thématique ont été mis sur pied. Ils ont bénéficié d’un large écho médiatique.
Pour quels résultats?
Entre mai et septembre 2015, nous avons réussi à maintenir nos volumes de vente par rapport à 2014. Certains marchés ont même fortement évolué et ont été sensibles à cette démarche. Le Moyen-Orient, par exemple, a progressé de 33%, prenant la troisième place annuelle en termes de nuitées par nationalités, alors qu’elle voyage sur trois ou quatre mois durant l’année – l’été. Avant, on trouve, dans l’ordre, les Suisses et les Américains.
Ceux-ci figurent d’ailleurs au deuxième rang de la progression la plus notable des nuitées. Cela s’explique par le fait que les Etats-Unis sortent d’une crise économique et que leurs ressortissants ont peu voyagé ces trois-quatre dernières années. Et ils ont en quelque sorte envie de se rattraper. Enfin, raison additionnelle, le dollar s’est moins effondré que l’euro par rapport au franc; la Suisse reste donc financièrement attractive pour des vacances.
Vos prévisions pour cet été?
De manière générale, nous sommes en avance sur nos prévisions de nuitées par rapport à la même période de l’an passé. Les clientèles américaine et du Moyen-Orient seront de nouveau très présentes, même si la durée moyenne des séjours diminue depuis quelques années.
Cette embellie potentielle est-elle aussi due au fait que la Suisse est – pour l’heure? – épargnée par les attentats terroristes?
C’est en tout cas ce qu’indiquent les clients américains, qui considèrent notre pays comme une destination refuge, en effet.
Quid des indigènes?
Fondamentalement, ils resteront notre première clientèle. Les marchés émetteurs dépendent – trop – des conditions économiques, voire géopolitiques dans lesquels ils évoluent. C’est très fluctuant, raison pour laquelle nous travaillons les marchés leaders et maintenons les autres en veille.
Allez-vous de nouveau proposer un concept inédit cet été?
Oui, le remède anti-crise 2016 est la déclinaison de notre établissement sur le thème de la «french riviera», de la douceur de vivre et du glamour propres à la Côte d’Azur.
Vous souhaitez aussi casser les codes, attirer les jeunes, n’est-ce pas?
Oui, c’est une tendance, car il s’agit de la clientèle de demain. Ils viennent pour se faire plaisir, prendre une coupe de champagne en faisant attention à la manière dont ils sont habillés. C’est touchant. Nous les accueillons avec bienveillance, au même titre que n’importe quel client. Il s’agit d’un pari sur l’avenir. Le bouche à oreille sera ainsi positif et ils reviendront, peut-être pour se marier, qui sait?…
Notre message est clair: vous passez sur les quais, avez envie de prendre un verre ou de manger: alors, n’hésitez pas, notre porte est ouverte à tous.
«L’hôtellerie doit vivre avec son temps, celui d’Internet»
Booking.com, la plateforme internationale de réservation de chambres d’hôtel en ligne, partenaire ou concurrente?
Plutôt partenaire, de mon point de vue. Elle m’amène clairement des clients, que je n’aurais sans doute pas pu avoir autrement. A moi, dans un deuxième temps, d’avoir une bonne relation avec eux pour qu’ils reviennent directement chez moi sans passer par un intermédiaire, qui me prend une commission au passage.
Et TripAdvisor, le site de conseils touristiques des consommateurs?
C’est plutôt un allié, nous qui y sommes numéros 1 depuis cinq ans consécutivement, et pas très loin, en termes de perception clientèle, du Beau-Rivage Palace, à Lausanne, une référence.
Là aussi, un tel outil peut générer des réservations supplémentaires, car extrêmement consulté. Surtout si les échos sont majoritairement positifs!
Propos recueillis par Didier Walzer