EBACE: Grand-messe européenne de l’aviation d’affaires

Chaque année, l’Europe enregistre en moyenne 420,000 vols de jets d’affaires, opulence qui la situe en second derrière le continent nord-américain. Un tel volume justifie la grande exposition technique et commerciale de Genève, en Suisse. Dénommée EBACE (European Business Aviation Convention and Exhibition), elle se veut l’équivalent à l’échelle européenne de la NBAA américaine. La quinzième édition s’est déroulée le mois dernier. Nouveau cru encourageant, alors que l’industrie émerge d’années difficiles et que les ténors se gardent d’un optimisme béat.

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Pourquoi Genève ?

Les bonnes raisons de placer EBACE à Genève sont multiples. Agglomération moyenne et centrale sur le continent, Genève évite l’emprise trop nationale d’une capitale comme Londres ou Paris. En pays neutre, elle s’affirme « ville internationale » par excellence, siège de très nombreuses organisations telles que l’ONU ou la Croix Rouge, siège également, et avec toute sa région suisse romande, ainsi que française, de grandes entreprises et grandes multinationales. Le tissu économique et culturel, la beauté du pays, les facilités d’accès… et, pour le côté suisse, les avantages fiscaux expliquent cette concentration. À EBACE, la présence des industriels suisses de l’aviation, des opérateurs et des courtiers du pays se révèle disproportionnée par rapport aux statistiques européennes.

Genève elle-même est devenue une plateforme majeure de l’aviation d’affaires : 24,000 mouvements en 2014, soit 14% du trafic commercial de GVA (Geneva International Airport). Autre critère favorable : l’emplacement idéal du lieu d’exposition. Les vastes halles de Palexpo (Palais des expositions) sont contiguës à l’aéroport. Depuis les halles, une passerelle spéciale joint une zone hors douane du tarmac, zone qui accueille « l’exposition statique » d’une soixantaine d’aéronefs. Ils s’échelonnent du jet quadriplace Eclipse jusqu’aux gros monocouloirs convertis en avions VIP, corporatifs ou gouvernementaux : ainsi les BBJ de Boeing et ACJ d’Airbus.

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Mariage américano-européen

Dans un bel esprit pan-européen, la désignation de Genève doit beaucoup à un Belge : notre confrère Fernand François, fondateur du magazine d’aviation BART International et ancien CEO de l’Association Européenne de l’Aviation d’Affaires. C’est lui qui, à la toute fin du siècle dernier, a convaincu les Américains de choisir Genève. Pourquoi les Américains ? Au risque d’une indigestion de sigles, sachez donc que EBACE (exposition européenne) est un événement organisé conjointement par la NBAA américaine et la EBAA européenne. Les charges sont équitablement partagées, les revenus également, et pour le seul bénéfice des membres. Pas d’organisateurs tiers à vocation commerciale.

 Canadiens bien présents

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Suisses très visibles, Américains omniprésents… et les Canadiens ? Rassurez-vous, ils ne sont pas en reste. Plusieurs exposants défendent nos couleurs dont, rituellement, les trois grands Québécois. Dans les halles, Bombardier revendique sans doute le stand le plus vaste, à l’image de sa vaste gamme d’avions d’affaires. À l’extérieur, les séries des Learjet, Challenger et Global sont dûment présentées.

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Pour sa part, Pratt & Whitney Canada aligne les turbosoufflantes de 2,200 à 20,000 livres de poussée. De plus, chaque année passée, un très didactique écorché du turbopropulseur PT6 étalait sa complexité tout en rappelant son succès : 69 modèles et 41,000 unités produites. En 2015, pas d’écorché ! Est-ce en écho au recul relatif du turbopropulseur par rapport au turboréacteur dans l’aviation d’affaires ?

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Enfin CAE ! à l’origine Canadian Aviation Electronics Ltd, mais tout le monde a oublié ce nom longuet. Leader mondial pour la formation de pilotes et la construction de simulateurs, CAE se veut également fidèle à EBACE. Généreusement dimensionné, son stand devient le point de rencontre des pilotes qui ont suivi leur entraînement sur un simulateur ou dans un site de formation maison… Plus de 40 sites dans le monde, en particulier en Europe et au Moyen-Orient.

Décollage spectaculaire, puis vol en pallier

_DSC9887_2 Depuis sa naissance en 2001, EBACE affichait un taux de croissance remarquable pour approcher 15,000 visiteurs (tous professionnels) et 500 exposants. Puis vint la crise de 2009 et son retentissement sur l’aviation d’affaires : baisse immédiate des vols (20% en Europe, 30% aux USA), entraînant un net ralentissement des commandes… et déclenchant parfois le couperet d’annulations. Entre 2008 et 2012, les ventes globales ont chuté de 29,2% (analyse de Teal Group).

Tout le monde n’étant pas logé à la même enseigne, les jets « chers » (plus de 25 millions de dollars) résistaient, les jets légers s’effondraient (- 43%). Quant aux très chers, bien représentés à Genève, ils semblaient ignorer la récession : en premier, les somptueux VVIP, long-courriers mono et bi-couloirs dont l’aménagement en version privée supprime les couloirs mais ajoute parfois des centaines de millions de dollars à l’étiquette du magasin. Exemples extrêmes : les A-380 ou les Jumbo 747-8 transformés en paquebots volants. Les plus emblématiques sont les Air Force One, mais il en est d’autres, souvent hors des feux de la célébrité. Également bien portants, les BBJ (Boeing Business Jet) et les ACJ (Airbus Corporate Jet). Parmi leurs heureux habitués, certains gouvernements, quelques très grosses firmes et le menu fretin des milliardaires : ceux du Moyen-Orient en particulier, renforcé d’oligarques de Russie.

Remise de gaz prudente

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Voici cinq ans, l’Europe achetait le quart des avions d’affaires produits chez elle et de par le monde. En 2013, seulement 15,6 %, mais le déclin s’est essoufflé. L’an dernier, belle reprise de 19,5% ! En Europe, l’aviation d’affaires va mieux. Ailleurs, encore mieux… si l’on excepte la zone d’influence russe. De ce mieux global, EBACE et les constructeurs européens ne sont pas seuls à se réjouir, les Dassault, Airbus, Rolls-Royce, Safran, Snecma… une très longue liste. Les nouveaux marchés prometteurs (Chine en particulier, Inde bientôt) se situant à nos antipodes, les avions à très long rayon d’action cartonnent dans le monde et pavanent à Genève, ainsi le G550 de Gulfstream (6,750 NM sans escale, soit 12,500 km), ou bien le G650ER : 13,890 km. Chez Bombardier, les Global 5000, 6000 et 7000 répondent plus qu’honorablement et luxueusement aux exigences du voyage très lointain. Bientôt, un Global 8000 portera le rayon d’action à 14,600 km… Depuis Montréal, toute l’Europe d’un coup d’aile, toute l’Afrique, toute l’Asie, sauf l’extrême-Sud. Pour sa part, le nouveau Falcon 8X de Dassault se contentera de 11,945 km, soit tout de même Montréal – Pékin non-stop, et en dormant dans le bon lit de la chambre de maître. Que demander de plus ? Eh bien, qu’il soit propulsé par des réacteurs également nouveaux. Et canadiens, s’il vous plaît : les PW307D.

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Dopée par la reprise de l’industrie aéronautique haut-de-gamme, EBACE a retrouvé une encourageante, mais plus raisonnable position. Pour 2015, voici des chiffres tout frais : 491 exposants, 60 aéronefs sur le « Static Display », dont 4 hélicoptères. Enfin, 12,638 visiteurs professionnels. Votre magazine Plein-Vol ne saurait être plus précis. Belle euphorie, mais personne ne risquerait sa tête dans le pari d’une nouvelle bulle. La Grèce pose problème. Plus grave : les événements en Ukraine et les sanctions contre la Russie affectent deux grands marchés du continent, tant pour la vente que l’exploitation. Chute de 5% des opérations au premier trimestre. Un exemple : la Russie et l’Ukraine formaient le troisième marché de Netjets Europe, compagnie de propriété partagée de jets privés. (130 jets rien que pour ce continent). Elle a dû annuler la commande de 20 Falcon 7X.

D’autres nuages s’amoncellent. Ainsi les guerres du Moyen-Orient qui menacent une zone de chalandise particulièrement intéressante pour les constructeurs et les compagnies. Sur le ciel incertain, un petit nuage particulier semblait même en vouloir à Genève : la convoitise de villes aux dents longues. EBACE allait-elle rester éternellement fidèle à ses premières amours géographiques ? D’aucuns articulaient en couloir les noms de contrées où la vie est un peu moins chère et les nuits un peu plus débridées, ainsi Barcelone et deux ou trois autres aussi glamour. N’en déplaise aux jaloux, EBACE 2015 vient de dégager le ciel pour les 10 prochaines années. « Nous restons », assurent les organisateurs. Rendez-vous l’an prochain du 24 au 26 mai. Et à Genève !

 

Robert Sirdey

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