L’Arménie fervente

Revendiqué arménien: le mont Ararat domine Erevan

Textes et photos: Gérard Blanc et Erika Bodmer

Petit pays montagneux faisant partie du « Petit Caucase », l’Arménie est riche en émotions et en patrimoine culturel. La valeur ajoutée de ce pays souvent méconnu est un contact privilégié avec ses habitants et ses monastères.

Rares sont les voisins de frontière sur l’épaule desquels l’Arménie peut s’appuyer hormis la Russie qui, pourtant, n’ont pas de frontière commune. Sauf avec la Géorgie, les distances sont toujours respectées avec la Turquie (génocide de 1915), l’Azerbaïdjan (différends sur le Nagorno-Karabakh) et l’Iran (divergences religieuses et  ancestrales, invasions perses).

La métropole : Erevan, la capitale, se prosterne chaque jour devant ce monstre de 5’137 mètres de hauteur situé en territoire turc qu’est le mont Ararat, et son frère, le « petit Ararat », au grand dam des Arméniens qui revendiquent sa territorialité. Sa majesté Ararat peut s’admirer depuis de nombreux endroits en Arménie. Malheureusement, rares sont les moments où il soit totalement découvert, les nuages ayant la fâcheuse habitude de cacher son sommet. La légende voulant que l’arche de Noé y soit échouée est contestée. Selon le Musée historique même d’Erevan, il y aurait un autre mont Ararat au pied de l’Euphrate qui serait vraiment là où le patriarche aurait échoué son navire.

Place de la République à Erevan

Au moment de la soviétisation, celle qui n’était qu’une petite ville de province, fut désignée comme capitale par le régime, et c’est à l’architecte néoclassique Alexandre Tamanian que fut confiée l’urbanisation. Avant de se mettre au travail, il s’imprégna de la culture et de l’histoire arménienne afin de créer une capitale à l’image du pays tout entier.

Il dessina la ville en forme de soleil avec des rues convergeant vers le centre et représentant les rayons. Les premiers plans prévoyaient deux places: la place de Lénine (actuellement place de la République) et la place de la Liberté en face de l’Opéra. Cet opéra fut construit à la place de la chapelle de Gethsemani datant du 17ème siècle. Du temps de Staline, on choisissait de remplacer les édifices religieux par des monuments modernes. L’Opéra prit donc la place de la chapelle.

Au centre d’Erevan

La Cascade: Créée dans les années 70, Alexandre Tamanian et Torosyan élevèrent ce monument dans un but purement ornemental, lequel s’est mué peu à peu en lieu culturel après la chute de l’URSS. La cascade abrite un complexe de salles d’expositions, dont le Musée d’art contemporain Cafeshian. Des œuvres d’artistes célèbres, tels que Marc Chagall, Fernando Botero, Andy Warhol, Georges Braque et bien d’autres y sont exposées. Dans le parc situé au pied de La Cascade, jeunes et moins jeunes se promènent tout en admirant cet escalier monumental, agrémenté de fontaines, de statues et de parterres de fleurs.


La cascade d’Erevan: un centre culturel.

Les chrétiens des premiers jours : Pour un visiteur du premier cru, l’essentiel de la découverte est en premier lieu le volet culturel et historico-religieux. L’église apostolique arménienne est l’une des plus anciennes de l’histoire chrétienne. Puisant ses origines au temps des apôtres Thadée et Barthélémy, qui l’institutionnalisèrent à la suite de la conversion du roi Tiridate par Grégoire l’Illuminateur, elle est peut-être la plus ancienne qui fut étatisée (301 après J.C.). D’ailleurs on trouve des références de Saint Grégoire l’Illuminateur dans de nombreux sites religieux du pays.

Les monastères: phares de la foi arménienne

En Arménie, les églises sont pleines le dimanche et les jours de fêtes, mais des mauvaises langues diront que pour la jeunesse l’église serait plutôt une affirmation d’une identité et de rattachement à la famille, une valeur qui demeure sacrée. En tous cas, l’Arménie offre une quantité impressionnante de monastères et d’églises à visiter. Vous y trouverez parfois des moines ou des prêtres en activité suivant une hiérarchie implacable, régie par un « catholicos » (semblable aux patriarches orthodoxes russes) et siégeant à Etchmiadzin, proche d’Erevan.

Saghmosavank: psaumes au bord d’une faille

D’un monastère à l’autre : Bien qu’ils soient tous de structure cruciforme avec un toit conique,  chacun  des monastères arméniens possède sa personnalité propre. Mieux vaut n’en sélectionner que quelques-uns, d’autant que se rendre de l’un à l’autre peut prendre des heures de route en raison de l’environnement montagneux et d’un asphalte par endroits chaotique. Depuis Erevan, la priorité est la visite du centre religieux d’Etchmiadzin, pour sa cathédrale, bien entendu, mais aussi pour la découverte des khatchkars, ces stèles de pierre sculptée rappelant les calvaires bretons ou les croix celtes d’Irlande, avec leur mélange de symboles religieux et païens (la croix chrétienne et le cercle du soleil). Le site est également digne d’intérêt pour l’ambiance qui y règne, avec les allées et venues de séminaristes le téléphone portable à l’oreille. Proche de là se trouve également l’église de Sainte–Hripsinie (7ème s.), construite sur le tombeau d’une jeune fille qui refusa la demande en mariage d’un roi.

Le portable est de mise à Etchmiadzin

L’ancienne basilique de Zvartnots (5ème s.), bâtie sur les vestiges du temple hellénistique d’Ourartou, aurait probablement été la plus belle de toutes si elle n’avait subi un tremblement de terre dévastateur au 10ème siècle. Sa constitution originale sur trois étages figure aujourd’hui sur la porte de la Sainte-Chapelle de Paris.

Khor Virap, entre vignes et montagnes

Au sud-est, le monastère de Khor Virap dominé le mont Ararat et surplombe la frontière turque. C’est là que se trouve la légendaire fosse où Grégoire 1er, l’Illuminateur, père de l’église arménienne aurait été emprisonné pendant 13 ans jusqu’à ce que le roi Tiridate, malade, implore au saint un miracle pour sa guérison, à la suite de laquelle il décida de convertir son royaume au christianisme.

Encore des monastères : Saint Estathius, dit monastère de Tatev, est le plus spectaculaire de tous par sa situation collé à une paroi montagneuse. Son nom vient de ce que les moines se jetaient du haut de la falaise pour échapper aux envahisseurs seldjoukides en criant « Tatev ! » (Seigneur, donne-moi des ailes !). Gueghard (3ème s.) est enfoncé dans un creux de montagne et entouré d’habitations troglodytes. Il date de la première période de christianisation, et fut construit par St Grégoire l’Illuminateur, qui aurait vécu dans l’une de ses cellules. On y accédait jadis par une échelle de corde. Novarank (11ème s.) est, lui aussi, enfoncé dans la montagne. L’une de ses particularités est l’accès quelque peu périlleux au premier étage de son église St Asivatsatsine (Ste Mère-de-Dieu).  Plus aisé est l’accès à mausolée du sous-sol. Sevanavank (4ème s.) qui jouit d’un panorama à 360°. Il trône sur le promontoire de la péninsule avançant sur le lac Sevan. Les chroniqueurs arméniens disent que la princesse et veuve Mariam, fille d’Achote 1er, y dédia sa vie et sa piété et décida de faire construire trente églises à la mémoire de son défunt mari Vasak Gabour. Saghmosavank (13ème s.) est appelé « le Monastère des Psaumes » en raison des psaumes chantés en polyphonie par les moines. Sa particularité est sa situation en bordure d’une grande faille de style canyon qui représente une inspiration infinie pour les élèves de l’Ecole d’art d’Erevan.

L’âme du poète : A Zangakatun se trouve la maison transformée en un émouvant musée  à la mémoire de Panuyr Sevak, un poète contemporain, qui fut vraisemblablement assassiné à l’âge de 47 ans par le KGB pour son esprit rebelle et qui, dans ses poèmes, dénonçait ceux qu’il appelait les « tartuffes », qui avaient meurtri son peuple (les Turcs, les Soviets et les nazis). Très touchants, ses poèmes ont été traduits en français. Il était l’ami des grands intellectuels arméniens, dont le compositeur Katchaturian.

Gérard Blanc et Erika Bodmer

Publié par Vision, revue des hautes-écoles suisses / Hiver 2020