Famille

Aïda, Sarkis, Gagik, Suzanne, Lilit et Elen

Pour bien voyager en Arménie, il faudrait parler arménien. Puisqu’un site internet prétend que c’est facile (menteur, va !), je vais m’y mettre illico : https://armenienfacile.com/apprendre-armenien-debutant/

« On ne voit bien qu’avec le cœur », disait le Petit Prince. On ne comprend bien qu’avec le cœur, serais-je tenté d’ajouter. Je me rappelle avoir passé plusieurs semaines d’hiver dans la yourte d’une famille mongole, loin de tout. Pas plus avec les enfants qu’avec les parents, nous ne partagions la moindre langue mais nous étions réciproquement si curieux de tout et de tous ! De retour en Europe, je me rappelle ma surprise en déchiffrant les notes de mon carnet de route quotidien. Il contenait des observations et des impressions, certes, mais aussi la transcription de longues discussions que nous avions échangées. Dans quelle langue ? Mystère ! Si une telle compréhension est possible avec le mongol, pourquoi pas avec l’arménien ?

Plus sérieusement, trois possibilités se présentent au visiteur béotien en Arménie:

  • Echanger en anglais avec les jeunes Arméniens des villes ;
  • Baragouiner en russe avec les anciens des villages;
  • Faire appel à un(e) guide francophone.

Au fait, savez-vous d’où vient ce verbe, baragouiner, signifiant qu’on s’exprime dans une langue étrange et difficilement compréhensible ? De Bretagne, au temps de la Première Guerre mondiale. Pour la première fois, de jeunes conscrits ne s’exprimant qu’en breton étaient enrôlés dans une armée dont les bidasses ne pratiquaines que le français et se moquaient bien de leurs copains bretonnants. A la grande table du réfectoire, les trouffions franchouillards observèrent leurs voisins réclamant entre eux le  pain ou le vin. Il se trouve qu’en breton, le pain se dit « bara » et le vin « gwin ». Les « vrais » Français baptisèrent donc « baragouiner » le sabir de leurs compagnons.

Suzanne et Lilit confectionnant le lavash quotidien.

Mais je m’égare ! Enfin non, pas tant que ça puisque, partout au monde ou presque, la rencontre avec des inconnus passe d’abord par le partage, celui du pain. Et parfois du vin. En arménien, le pain traditionnel se nomme lavash. Je l’ai appris dès le premier jour, tant il est délicieux. Et c’est justement avec les femmes préparant le lavash que les regards commencent à se croiser et les langues à se délier.

Sarkis et Gagik.

Ma première véritable rencontre avec une famille arménienne s’est faite dans le petit village rural d’Aknashen, 1670 habitants, à une trentaine de kilomètres d’Erevan. Je n’y étais pas tombé par hasard. Gagik, le maître de maison, est le frère d’Ara Khurshudian, un Arménien de la diaspora, installé à Fribourg où il a créé, à l’intention de la clientèle suisse, une agence de voyages spécialisée dans les séjours en Arménie.

Les hôtes d’un jour attablés en famille.

A Aknashen, la famille Khurshudyan (avec un « y » qu’Ara a remplacé par un simple « i » dans son identité suisse) vit dans une maison-fermette comme il y en beaucoup au village, alignées dans une rue sans caractère. On y pénètre par un long couloir sombre donnant sur les pièces à vivre, une salle entière dédiée à la confection du lavash et un grand espace abrité au centre duquel trône une longue table de bois destinée aux petits groupes de visiteurs, qui prennent leur repas en même temps que la famille. Au-delà, un appentis et, surtout, entouré de massifs de fleurs champêtres, un jardin potager où mûrissent concombres, aubergines et tomates. Hormis les poules qui piaillent derrière un grillage, le petit élevage et les cultures plus importantes se font sans à la périphérie du village, sur les bandes de terre familiales naguère réquisitionnées par la coopérative agricole soviétique.

Enfournage du lavash.

Simple et quotidienne, la confection du lavash est, pour le visiteur, une fête toujours recommencée. Le meilleur pizzaïolo n’aurait qu’à bien se tenir face aux femmes de la maison, faisant virevolter leur galette de pâte. Quant au four, cylindre de pierre enterré de plus d’un mètre au beau milieu de la pièce, comment est-il apparu dans la vie des Arméniens, alors qu’il serait si facile de faire cuire le pain à même la braise, comme le font les nomades des grands déserts ? A lui seul, le four à lavash est la preuve que les Arméniens sont, de toute éternité, attachés à une famille et un lieu. Mais comment font les Arméniens de la diaspora, dans leur trois-pièces parisien ou leur suite new-yorkaise ?

Le jardin de la famille.

Aujourd’hui à Aknashen, nous avons pris le temps d’échanger le pain, le vin et le regard avec Aïda, Sarkis, Gagik, Suzanne, Lilit et Elen, sa fille. Le regard et même les rires mais pas vraiment la parole. Ce sera pour la prochaine fois, lorsque j’aurai enfin appris l’arménien grâce à la méthode à Mimile…

Alex Décotte, juin 2019

  • Les photos sont de l’auteur
  • Pour prendre contact avec en Suisse avec Ara Khurshudian et organiser une visite dans sa famille restée en Arménie: Cliquez ici.