« Le tourisme est un prédateur, il détruit ce qu’il fait vivre »

Laurent Tissot, spécialiste de l’histoire des loisirs et du tourisme 

Laurent Tissot

Alors que le tourisme de masse pèse de plus en plus sur les villes européennes, Lucerne tente de réguler le nombre de ses visiteurs. Pour le professeur Laurent Tissot, toutefois, les côtés sombres du tourisme ont toujours été indissociables de ses côtés positifs.

Devenues emblématiques du tourisme de masse, les villes de Venise et Barcelone n’en peuvent plus des centaines de milliers de visiteurs qui les envahissent chaque année. En Suisse, c’est Lucerne qui peine le plus à gérer son flot de touristes. Pour juguler les quelque 25’000 personnes par jour qui s’arrêtent dans la cité, elle songe à introduire une taxe sur les autocars touristiques.

Pour Laurent Tissot, professeur émérite en histoire contemporaine à l’Université de Neuchâtel, la Suisse dans son ensemble va devoir faire face à un tourisme de masse qui va devenir de plus en plus problématique. Mais si l’on parle beaucoup, actuellement, de ses aspects négatifs, il se n’agit pas d’un phénomène nouveau.

« Jusqu’ici, on ne voulait voir et parler que de la face positive du tourisme: les gens qui s’épanouissent en voyageant, la création d’emplois dans les régions visitées… Mais on ne peut pas occulter son autre face. Le tourisme est un prédateur. Il érode, et à terme peut mettre en péril et détruire ce qu’il fait vivre », avertit ce spécialiste de l’histoire des loisirs et du tourisme, invité le lundi 4 août 2019 dans La Matinale de la RTS.

Côté sombre occulté

Ce visage-là doit absolument être associé à l’autre, positif, auquel on préfère penser, poursuit Laurent Tissot. « C’est peut-être la critique que l’on peut émettre au niveau de la politique touristique, non seulement en Suisse mais aussi à l’étranger: ne voir que son bon côté, pour ensuite constater les dégâts au niveau social, écologique et politique ».

« On verra tout d’un coup, j’en suis sûr, des tags ‘Tourists, you are not welcome’ apparaître à Lucerne », prédit l’historien. Des marques qui montrent que les habitants de ces villes en ont assez des touristes, car à leurs yeux, ce trop grand nombre de visiteurs détruit l’environnement dans lequel ils vivent.

Changer les circuits

Pour endiguer ces phénomènes, il faut se poser la question de savoir pourquoi certaines villes ou points d’intérêt figurent sur tous les circuits touristiques, pourquoi ils constituent des « cases à cocher » pour un grand nombre de visiteurs. « Il doit être possible de varier les circuits, de montrer autre chose », estime Laurent Tissot. A ses yeux, la taxe sur les cars envisagée par Lucerne est une mesure un peu prématurée et pas forcément bonne à long terme.

« Il y a une forme d’arrogance des Lucernois, qui pensent que, même avec des taxes, les gens viendront. Or, ce n’est pas sûr », prévient le spécialiste, qui pense préférable une ventilation des visiteurs dans l’espace ou l’introduction de quotas de cars. Car les taxes ne résolvent qu’une partie du problème: les dégâts sur l’environnement, par exemple, restent à traiter.

Une partie de la solution passera peut-être par la transition d’un tourisme de masse vers un tourisme plus individuel, en petits groupes, une tendance à la hausse chez les touristes chinois, comme l’a relevé la NZZ am Sonntag le week-end dernier. Cette évolution pourrait voir les visiteurs mieux se répartir sur les différentes attractions touristiques que compte la Suisse.

Ecouter l’interview

Propos recueillis par Agathe Birden / Adaptation web: Vincent Cherpillod

Source :RTSinfo

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