Génocide

Dessin de Dilem.

J’ai beau travailler comme un Turc sur le sujet, je ne trouve pas trace d’un quelconque génocide arménien. Peut-être parce que je travaille comme un Turc, justement… Certes, le sujet ne prête pas à rire mais l’obstination des Turcs, ou du moins de leurs dirigeants successifs, à ne pas reconnaître le génocide arménien, confine à la plus malsaine des pantalonnades. Petit retour en arrière.

L’ami Adolf…

Nous sommes en 1915. Quelque part, bien plus au nord, l’ami Adolf a mis un terme à ses vagabondages munichois et rejoint l’armée allemande. La Première Guerre mondiale a éclaté l’année précédente. Mais pourquoi parler d’Adolf en 1915 puisqu’il n’est encore personne et n’a pas même rédigé le premier chapitre de Mein Kampf ? Peut-être à cause de cette phrase adressée le 5 février à son ami Ernest Hepp : « Chacun d’entre nous n’a qu’un seul désir, celui d’en découdre définitivement avec la bande, d’en arriver à l’épreuve de force, quoi qu’il en coûte, et que ceux d’entre nous qui auront la chance de revoir leur patrie la retrouvent plus propre et purifiée de toute influence étrangère ». Un slogan que n’aurait sans doute pas désavoué le gouvernement ottoman d’alors, qui venait d’ordonner le désarmement et l’exécution de tous les soldats arméniens présents dans l’armée turque.

C’est qu’alentour, la Grande Guerre fait rage. L’Empire ottoman est l’allié de l’Allemagne et de l’Empire austro-hongrois face à la France, l’Angleterre et la Russie, cette Russie si proche, si menaçante, si impie puisque orthodoxe et donc chrétienne, comme les Arméniens.

Source: Wikipedia.

Le 25 avril 1915, date retenue comme marquant le début du génocide, 650 intellectuels et notables arméniens sont arrêtés et déportés vers le désert syriens, promis à une mort atroce. Des centaines de milliers de femmes, de vieillards et d’enfants les suivront dans ces camps de concentration et d’extermination, dont le plus tristement célèbre est celui de Der Zor.

Source: « Le Petit Journal »

Quant aux Arméniens restés à Constantinople ou dans leur village, leur sort est scellé. Dans les mosquées, les imams viennent d’autoriser les musulmans à massacrer les Arméniens. En moins de deux ans, le génocide arménien aura fait au moins 1.200.000 morts.

Archive de 1915.

En 1919, le gouvernement turc concédera 900.000 victimes, c’est mieux que rien mais, un siècle plus tard, alors que le Parlement européen a reconnu le génocide dès 1987, il n’est toujours pas question pour Erdogan & Cie de prononcer ce vilain mot et d’ailleurs, aujourd’hui comme hier, quiconque se hasarderait à l’évoquer en Turquie se retrouverait illico en prison. La Turquie actuelle est ce qu’on appelle parfois une démocrature, contraction de démocratie et de dictature.

Dessin d’Oli

Au fait, comment reprocher aux Turcs de 1920 de n’avoir pas prononcé le mot qui fâche. Le terme « génocide » n’est apparu qu’après la Seconde Guerre mondiale et l’extermination des Juifs et autres Tsiganes par l’ami Adolf. « Que ceux d’entre nous qui auront la chance de revoir leur patrie la retrouvent plus propre et purifiée de toute influence étrangère », écrivait-il. A en croire l’Histoire récente, les deux génocides arménien et juif auront été les premiers mais pas vraiment les derniers. Au passage, une pensée pour le Rwanda.

Aujourd’hui, le génocide continue à hanter les Arméniens d’Arménie comme ceux de la diaspora. Pourtant, ils l’évoquent rarement avec les visiteurs étrangers. Par pudeur sans doute. Mais aussi pour le pas rouvrir une cicatrice si douloureuse.

Erevan. La flèche du Mémorial aux victimes du génocide culmine à 44 mètres.

Si les Arméniens n’en parlent guère, le Mémorial aux victimes du génocide, implanté depuis 1965 sur une ample colline dominant Erevan, se charge de rappeler à tous, locaux ou visiteurs, le sens, le poids et la mémoire de ce mot, génocide, aussi démesuré que la flèche de granit, lancée de ses 44 mètres vers le ciel et constituée de deux blocs indépendants et pourtant à jamais solidaires, qui symbolisent l’Arménie orientale, désormais libre et vivante, et l’Arménie occidentale, victime des massacres ottomans et pourtant survivante et renaissante au travers des Arméniens de la diaspora.

Au coeur de la corolle de pierre, la flamme éternelle et les fleurs déposées par les visiteurs du matin.

Au bout de l’esplanade, douze éléments du même granit enserrent, tels les lourds pétales protégeant le précieux pistil d’une fleur, la flamme éternelle que des dizaines de milliers d’Arméniens viennent, le 24 avril, célébrer en déposant, chacun, une fleur de mémoire et de respect. Aucun des 364 autres jours de l’année ne se passe sans que d’autres fleurs prennent le relais d’éternité.

Pour comprendre la profondeur et la force de l’âme arménienne, tout visiteur devrait commencer son voyage ici. Sans haine. Sans rancoeur. Sans commisération. Sans oubli.

Alex Décotte, juin 2019.

  • Sauf mention contraire, les photos sont de l’auteur.

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